En plus des changements économiques que l’on connait, l’ouverture de la Chine a conduit les enfants de la Révolution Culturelle vers la découverte des cultures et modes de vie des jeunesses occidentales. C’est à ce moment que les mouvements jeunes d’Europe et d’Amérique du nord pénètrent en Chine. La musique rock, emblème de la jeunesse occidentale des années 1960, devint alors emblématique de cette génération chinoise qui sera sacrifiée en 1989 lors des évènements de la place Tiananmen. Le rock, qui avait déjà permis de changer les mentalités en Europe en portant la volonté d’émancipation de la jeunesse, a eu un effet similaire en Chine. Porteur d’un esprit rebelle et d’une volonté de changement, il est rapidement devenu le symbole du cri de liberté des jeunes chinois d’alors.
En effet, les jeunes de cette époque, marqués par le traumatisme de la Révolution Culturelle et influencés par de nouvelles idées venues d’Occident, commencent à se positionner sur la place publique pour l’avènement de la démocratie en Chine. C’est donc ce mouvement et cette volonté, brutalement écrasés en juin 1989, qui s’incarnent dans le rock chinois. La prise de position du rock devient explicite lorsque des chanteurs, à l’image de Cui Jian, s’invitent sur la place Tiananmen afin de donner des concerts de soutiens aux manifestants. A travers ce soutien, c’est toutes les revendications de démocratie et de liberté qui sont mises en avant par ces musiciens, donnant ainsi un caractère politique au rock en Chine. Des groupes de tout le monde chinois défilent alors sur la place venant aussi bien de RPC que de Taiwan ou encore Hong Kong, pour soutenir unanimement le mouvement initié à Pékin.
La répression du 4 juin, s’est opérée sur plusieurs niveaux attentant un coup sanglant aux idéaux et aux valeurs démocratiques. Au-delà de la répression armée, la Chine s’est à nouveau renfermée sur elle-même, et les autorités ont mis en place un contrôle strict sur l’influence émanant de l’Occident. Pour empêcher tout renouveau de ce genre de protestations, les mouvements collectifs ont été bannis et tout élément permettant d’inspirer un esprit de révolte s’est trouvé pris dans les filets de la répression gouvernementale. Le rock, compte tenu de son rôle dans le mouvement étudiant et de l’esprit qu’il met en avant n’a donc pas fait exception. Dès lors, pour les artistes et musiciens désormais étiquetés comme potentiellement subversifs se présente un choix : faire le jeu du gouvernement ou passer dans la sphère de l’underground.
Cui Jian, icone du rock chinois
Pour ceux qui optent pour la seconde solution, l’underground devient le moyen de garder une certaine liberté d’expression et de ne pas soumettre ses idéaux aux décisions étatiques. Cette sphère, qui évolue hors des circuits officiels, regroupe ceux qui ne se soumettent pas, et qui refusent d’oublier la répression de 1989. C’est donc dans ce monde où la contestation est intériorisée que le punk-rock chinois émerge, choisissant ce genre de lieu pour échapper à la surveillance des autorités. Si les musiciens chinois doivent établir des stratégies de contournement pour préserver ce qu’il considèrent comme l’« essence » de leur musique, les produit et le contenu musical venus d’Occident doivent eux aussi échapper aux organes de surveillance pour passer au-delà de la muraille. Ainsi, un réseau parallèle se met en place. Ces produits étant censurés lors de leur entrée sur le territoire, ils sont désormais distribués par l’intermédiaire du marché noir ou des étudiants étrangers. Les douanes chinoises dans leur exercice de la censure, rendent l’accès à ces musiques encore plus ardus : les CD par exemple, sont fendus sur un côté si bien que les dernières pistes sont illisibles. Analysé par Jeroen de Kloet dans China with a cut, cette technique dite du « DaKou » laisse toujours une bonne partie de la bande écoutable. C’est donc autour de cette « génération du Dakou » que se forment les premières communautés punks.
Si les aspirations de la jeunesse de Tiananmen furent écrasées et que ses membres se conformèrent aux normes édictées par la société, c’est avec la génération suivante, marquée par la répression qu’a eu lieu l’âge d’or du punk. Enfants en âge de comprendre et de se souvenir lors de ces évènements, ils connurent majoritairement un moment de rupture lors de leur entrée à l’université vers la fin des années 1990, les conduisant à se tourner vers la sphère de l’underground pour continuer le combat contestataire de leurs ainés à travers le mouvement punk. Ce mouvement, connu donc une véritable explosion en Chine de la fin des années 1990 aux débuts des années 2000, en mêlant musique et contestation politique mais en restant cantonné dans une sphère souterraine et minoritaire. Le passage du rock au punk illustre donc une transition de la représentation des frustrations de la jeunesse chinoise.
Sur les bases du mode de vie punk dans l’Angleterre des années 1970-80, l’assimilation de ce mouvement par la jeunesse chinoise de l’époque a fait émerger une voie vers le punk à la chinoise. Reprenant les codes et représentations de cette idéologie, les musiciens et les membres des communautés de Pékin et Wuhan firent émerger stratégiquement ce mouvement en Chine. Le contexte autoritaire des années post Tiananmen ayant conduit les jeunes punks de cette époque à développer des stratégies souterraines pour se produire sur scène, diffuser leur musique et vivre leur vie selon leurs idéaux.
Extrait du documentaire "Anarchistes chinois: la colère corrosive des punks de Pékin" AFP
Lorsque l’on demande à Wuwei ce que signifie « être punk » pour lui, il répond que c’est avant tout un positionnement par rapport à la vie. Pour le chanteur du groupe SMZB (l’un des premiers groupes punks chinois), la fraternité et le respect des autres incarnent l’esprit punk. La tolérance dressée comme étendard appelle chacune à vivre comme il l’entend, à trouver sa voie afin de vivre selon ses idéaux et convictions. Ce message se retrouve dans le titre du groupe SMZB intitulé No friends, No life. Loin de l’image sale et no future que l’on accole aux punks du monde entier, la communauté qui s’est créée autour de SMZB à Wuhan fonctionne selon des codes beaucoup plus subtils. L’idéologie punk pour ces individus est un moyen de supporter les frustrations de la vie, de pacifier ses pulsions en les canalisant. La violence intériorisée dans la vie de tous les jours est extériorisée lors des concerts ou des soirées entre amis. Pour Wuwei, vivre selon ses idéaux là en Chine relève d’une lutte quotidienne dans un besoin d’expression et de contestation.
Conscients qu’il n’y aura pas un deuxième 4 juin 1989 ou une révolution de sitôt en Chine, les membres des communautés punk que nous avons rencontrés à Pékin ou à Wuhan luttent à travers leurs modes de vie et leurs créations artistiques. Bien que certains d’entre eux se savent surveillés par les autorités, ils créent leurs petits mondes afin d’y vivre davantage en adéquation avec ce qu’ils souhaitent faire de leurs vies. Ce refus de se plier aux grands paradigmes portés par l’économie socialiste de marché est une première étape dans un processus menant à la contestation. L’underground apparait en Chine comme une nécessité pour ce genre d’initiative et de là émerge le paradoxe d’une prolifération d’espaces de liberté en contexte autoritaire. Yang Han, tour manager du groupe SMZB nous expliquait ainsi les marges de manœuvre dans l’agrégations d’acteurs contestataires face au gouvernement :
« Il n’y a pas d’endroits totalement surs en Chine à partir du moment où ils rassemblent du monde. Tu peux être critique et contester les actions du gouvernement sans que ce dernier n’ait peur de toi et cherche à t’arrêter. En revanche, le gouvernement craint les rassemblements de personnes comme ça. C’est à partir du moment où les personnes en colères se rassemblent et échangent en souhaitant que d’autres personnes les soutiennent que ça devient un danger »
L’exercice de la dissidence est donc contraint à une pratique discrète. Les thèmes les plus sensibles sont souvent chantés en anglais, les discussions contestataires n’émergent qu’en des lieux, des moments bien précis. Les espaces d’expression créés par les communautés punk de Chine ne sont pas nombreux mais concentrent une certaine population autour de la musique. Cet esprit punk à la chinoise a connu son âge d’or autour de l’an 2000 et les communautés qui persistent encore aujourd’hui voient leurs membres vieillir et diminuer. Is Chinese punk dead ? Après avoir rencontré les instigateurs du mouvement, nous consacrerons notre prochain article aux évolutions, influences et à l’héritage qu’ont les pionniers du punk en Chine sur la jeunesse contemporaine.
Zolifei Mozou